Saturday, December 26, 2015

Hocine Ait Ahmed, 1927-2015, le dernier des pères de l'indépendence algérienne


Ait Ahmed

L'un des pères de l'indépendance de l'Algérie, devenu opposant intraitable au régime, va rejoindre pour l'éternité la terre qui a forgé son âme de révolté dans le village fondé par un illustre aïeul, poète et maître soufi.
Hocine Ait-Ahmed n'a pourtant que très peu vécu à Ait Ahmed, un petit hameau qui porte le nom de la famille, situé à 160 km au sud-est d'Alger, en haut d'une étroite vallée entouré de collines.
Au détour d'un virage, apparaît la coupole du mausolée qui abrite son fondateur cheikh Mohand Lhoucine, un personnage encore révéré plus d'un siècle après sa mort en 1901. Le mausolée où il est enterrée avec sa soeur est un lieu de pèlerinage qui ne désemplit jamais.
Partout en Kabylie, on jure encore par Cheikh Mohand l'amusnaw (philosophe, en berbère) qui éclairait par sa sagesse et son savoir toute la région durant la seconde moitié du 19e siècle. Il enseignait notamment que "la foi naïve triomphe toujours sur le calcul rusé".
De lui, "Hocine a hérité l'érudition et le sens intangible des principes", commente Boussad, un membre de la famille qui recevait vendredi les condoléances de centaines de personnes arrivant sur les lieux, une semaine avant l'enterrement.
"C'est toute l'Algérie qui perd Hocine et pas uniquement sa famille", répétait-il en souriant à tous les visiteurs, de tous âges et de tous milieux.
Le Hocine Ait Ahmed , comme je me le souviens d'un interview que j'ai eu avec lui en 1991 à Algers.

En son temps, l'aïeul avait fait du hameau une "un havre de grâce", analysait l'écrivain et anthropologue Mouloud Mammeri. Il y recevait "tous les représentants de la société kabyle, du haut du gamme au plus bas, du caïd (chef, en arabe) au brigand".
Né dans le hameau en 1926, Hocine le quitte à "l'adolescence" pour faire des études à Alger. Le dernier survivant des neuf "Fils de la Toussaint" qui ont déclenché la guerre d'Algérie le 1e novembre 1954 "avait 14 ans, à ce moment-là", raconte une vieille dame de la famille.
A 17 ans, il adhère au Parti du peuple algérien (PPA) du charismatique Messali Hadj et prône dès 1948, à l'âge de 22 ans, la nécessité de la lutte armée contre les troupes françaises.
Il est d'ailleurs désigné pour diriger l'Organisation spéciale (OS), paramilitaire et clandestine dont l'ossature donnera par la suite naissance à l'Armée de libération nationale (ALN).
- Descendant de la Jeanne d'Arc algérienne-
"Notre fibre nationaliste est très profonde", dit fièrement Boussad soulignant que les Ait-Ahmed descendent de Lalla Fadhma N'Soumeur. La Jeanne d'Arc algérienne, comme les gens et la presse la surnomment, avait organisé toute jeune la résistance aux troupes du maréchal Jacques Randon qui dirigea l'expédition française en Kabylie, à la tête de 35.000 hommes.
Lalla Fadhma et cheikh Mohand sont tous deux nés dans une famille maraboutique à Ouerja, un autre village de la région, que le maître soufi a quitté pour fonder Ait-Ahmed.
Dans ce village, Hocine trouve refuge quand, rompant avec ses frères d'armes, il fonde le Front des Forces socialistes (FFS) en 1963 et crée des maquis contre les nouveaux maîtres d'Alger.
"Les soldats du président Ahmed Benbella étaient venus arrêter tous ses neveux", se souvient une vieille dame de la famille.
Arrêté lui-même en 1964, Hocine est condamné à mort puis gracié. Il s'évade en avril 1966 et s'installe à Lausanne. Il rentre à Alger en décembre 1989, après 23 ans d'exil, à la suite de la reconnaissance du FFS par les autorités. Il reprend le chemin de l'exil en 1992.
"Il était revenu au village en 1999", pendant la campagne présidentielle qu'il a interrompue quand il a réalisé avec les cinq autres adversaires d'Abdelaziz Bouteflika que les jeux étaient faits pour ce candidat de l'armée.
Le président Bouteflika a rendu hommage à ce "grand homme" qui a "accompli avec abnégation et dévouement son devoir de militant et de moujahid" (combattant, en arabe). Il a décrété un deuil de huit jours et a décidé de lui organiser des funérailles nationales.
"S'il restait à Ait-Ahmed un dernier pied de nez au régime, c'est fait: c'est parmi les humbles qu'il viendra se reposer pour l'éternité", affirme Chérif, un militant du FFS.
"J'ai l'impression qu'on prépare une grande fête et non des funérailles. C'est un bonheur de recevoir dans les entrailles de ce coin sacré l'un des grands faiseurs de l'histoire du pays", commente une femme venue d'un village voisin.
"Bienvenu Da Lhou", comme on l'appelle respectueusement ici, ajoute-t-elle.
Il demeurera dans un cimetière planté d'oliviers, où des dizaines de milliers de personnes sont attendues pour lui dire adieu.

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