Olivier Roy |
Professeur à l’Institut universitaire européen de Florence où il dirige le Programme méditerranéen, le politologue français, Olivier Roy, nous donne sa lecture de la victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie et analyse la situation dans les pays voisins, connaissant, eux aussi, des changements majeurs sur la scène politique.
- Vous avez déclaré la fin de l’islamisme politique et souligné l’absence de slogans idéologiques et des islamistes pendant la Révolution. Pourtant, c’est bien le parti islamiste qui a remporté les élections. Pourquoi ?
Ennahda ne gagne pas en tant que parti islamiste porteur d’un projet d’Etat islamiste et d’une révolution islamiste. Il gagne en tant que parti conservateur, de droite, qui tient un discours sur les valeurs, dont les valeurs religieuses certes, mais aussi les valeurs de la famille, de l’authenticité, de la culture, etc. Un discours qui plaît à une société qui est quand même très conservatrice. Concernant son score, il n’a fait que 40% ! Certains parlent d’un raz-de-marée alors que 60% des Tunisiens n’ont pas voté Ennahda. Ensuite, je crois que c’est également l’échec de la gauche qui explique la victoire d’Ennahda. La gauche laïque a perdu sa crédibilité. Elle a tenu un discours essentiellement contre le parti islamiste. Or, ce discours n’est pas du tout positif ni porteur d’un projet politique. La gauche est apparue divisée et élitiste, posant essentiellement la question du voile et de l’alcool, mais pas les grandes questions de société. Il faut remarquer que les deux partis de gauche, qui ont fait dans les 15%, sont des partis qui n’excluaient pas du tout, au contraire, de faire partie d’un gouvernement de coalition avec Ennahda. Cela prouve que la majorité des électeurs est pour un gouvernement de coalition, ce qui va donc contre les partis de gauche qui estimaient qu’on ne pouvait pas négocier avec Ennahda.
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- N’y a-t-il pas un risque de «salafisation» de l’islamisme ? Vous privilégiez le scénario turc ?
Il y a une surenchère salafiste. Les salafistes font pression sur les islamistes pour que l’islam soit en tête de l’agenda politique. Cette pression est forte mais je pense qu’en Tunisie, Ennahda est capable de résister.
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- Prédisez-vous une victoire des Frères musulmans en Egypte également ?
Oui, je pense que ce sera un parti dominant à l’Assemblée. Mais la situation est différente de la Tunisie. D’abord, en Egypte, il y a l’armée. Elle fera pencher la balance dans un sens ou dans un autre. Aussi, le mouvement des Frères musulmans est divisé sur une base générationnelle. Il y a des tensions entre les jeunes et le leadership. D’autre part, le leadership est beaucoup moins moderne que celui d’Ennahda. Mais comparé à ses homologues égyptiens, Ghannouchi est un libéral. La pression des salafistes est d’autre part encore plus forte en Egypte. Donc, nous avons là un champ plus diversifié, des mouvements moins homogènes, une armée qui a un poids, la situation est plus volatile en Egypte.
- Dès la proclamation de libération de la Libye, le CNT a déclaré l’instauration de la charia et a rétabli la polygamie, abolie par l’ancien régime. Est-ce une manœuvre pour rassurer les islamistes et les pousser à déposer les armes ou assiste-t-on à l’arrivée de l’islamisme au pouvoir en Libye aussi ?
Il n’y pas d’équivalents d’Ennahda et des Frères musulmans en Libye. Les islamistes sont des activistes qui n’ont pas d’expérience de combat, et ils l’ont montré. Ils vont certainement jouer un rôle, mais il n’y a pas de partis politiques structurés. Je crois que la référence à la charia est plus de la rhétorique démagogique qu’un programme de gouvernement. La charia peut être déclarée source de droit sans que rien se passe. Tout dépend de ce qu’on fera concrètement après. Comment va-t-on définir la loi ? C’est l’affaire d’une Constituante et on verra bien ce qui se passera. Il est clair qu’il y aura des tensions, mais en Libye, je crois que ces tensions apparaîtront plus sur une base régionaliste que sur une base idéologique.
What Roy says is that essentially Ennanhda did not win as a an islamist party that campaigned for an islamist state, but that it was more its conservative nature, its clinging to the family values and authentic cultural values that appealed to the Tunisians. Apart from that it was not a landslide, Ennahda got 40% which meant that 60% did not vote for it. According to Roy it was also as much a defeat for the leftist parties, which lost their credibility by putting much more emphasis on campaigning against Ennahda than bringing a mesage of their own. He points to the fact that the two runners up are parties that from the beginning said they were willing to consider entering a coalition with Ennnahda, which could be interpreted as a sign that a majority of Tunisians is in favour of a coalition in which Ennahda takes part.
Roy concedes that salafism poses a risk in that the salafists put pressure on Ennahda to keep islamism on the agenda, but he thinks Ennahda is stron enough to deal with this pressure.
As far as Egypt is considered, Roy is less optimistic. Also there the islamists, the Muslim Brotherhood in this case, are poised to win. But the leadership of the Brotherhood is much more rigid than Ennahda's leader Ghannouchi, who is a liberal in comparison to them. And though it is true that there are differences of opinion between the leadeship and the younger guard, also the pressure of salafist movements is much stronger in Egypt. And there is also the army that can tip the balance to one side or the other. In short: the situation in Egypt is much more volatile than in Tunisia.
As for the question asked concerning Libya, where according to al-Watan the NTC (Transitional Council) announced that the sharia would be reinstated and polygamy reintrodued, Roy points to the fact that although there are islamist activists in Libya, they are less organised than elsewhere. There are no islamist parties, nor a Muslim Brotherhood. Maybe the NTC-declaration means that the sharia will be declared a source of legislation. He thinks it it is more rethorics than political practice, and in any case what exactly that is going to mean, has yet to become clear. Islamists, he thinks, will certainly play a role in the Libya of the future. But whether they will constitute a problem remains to be seen. At the moment regional divisions are much more apparent in Libya than ideological ones.
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